L'amitié est, dans le Petit Prince, très lié à l\'apprivoisement. Le premier ami que l'enfant trouve au cours de son voyage est le renard. Il fait sa connaissance sur la dernière des planètes qu'il visite: la Terre.
Il y rencontrera aussi le pilote, un adulte qui deviendra son ami. Tout ce que le Petit Prince apprend à l'adulte se résume dans le message pour lequel l'enfant est venu sur la Terre - il avait un grand trésor à redécouvrir pour la Terre: l'être humain a besoin de garder une âme d'enfant pour vivre pleinement.
Dès son arrivée sur la Terre, le Petit Prince est étonné par l'immensité de cette planète. Tombé dans le désert, il cherche les hommes, mais en vain. Le premier être vivant qu'il rencontre est un serpent. Celui-ci lui explique pourquoi le désert n'est pas habité par les hommes et lui fait aussi savoir que la seule raison pour laquelle il ne le tue pas avec son venin mortel est que cet être enfantin « est pur et vient d'une étoile » (*22).
Mais il lui propose de le mordre au moment où le Petit Prince aura envie de quitter la planète Terre. Le Petit Prince lui répond juste avoir compris le message. Il fera plus tard usage plus tard de cette offre.
Pour le moment, l'enfant est à la recherche des hommes. En haut d'une montagne il se sent pour la première fois très seul. Désespéré, il crie vers le ciel son besoin de trouver des amis, mais seul l'écho lui répond.
Le deuxième animal qu'il rencontre est le renard.
Le Petit Prince commence la conversation en priant le renard de jouer avec lui puisqu'il est tellement triste, mais le renard lui répond qu'il n'est pas apprivoisé. Il apprend à cet enfant inconnu le sens de ce mot qui semble au Petit Prince encore une expression compliquée et énigmatique des habitants de la Terre.
Le renard lui explique comment on crée des liens et comment procéder pour l'apprivoiser.
Le rapprochement entre les deux êtres se fait assez lentement. Ils se parlent avec autant d'intérêt que de respect l'un pour l'autre. Le Petit Prince tutoie le renard car il ne vouvoie que ceux qui lui paraissent vraiment adultes.
Le renard paraît froid dans ce qu'il dit (il répond de façon très abrupte aux questions que le renard lui pose), mais tout à coup, après avoir terminé son « petit cours », il change complètement de comportement et supplie le Petit Prince de l'apprivoiser.
Même s'il ne le montre pas tout de suite, il avait grand besoin d'un ami.
Dans la Lettre à un otage, Saint-Exupéry dit, à un moment donné, à propos de ce besoin d'amitié:
« Mon ami, j'ai besoin de toi comme d'un sommet où l'on respire. » (*23)
Le Petit Prince est un enfant qui a soif de connaissances et qui, lui aussi, est à la recherche d'un ami.
Le renard est le premier capable de le satisfaire, de pouvoir rassasier sa « soif d'amitié et de tendresse ».
Il explique aussi au Petit Prince que cette amitié le rendra unique au monde á ses yeux. Tout en lui expliquant comment l'apprivoiser, il commence déjà à sympathiser. De même, il est important de s'accoutumer l'un à l'autre, de trouver des « rites », une sorte de régularité afin de pouvoir en espérer une amitié durable.
Plus tard, le renard dit à son nouvel ami qu'il pleurera lorsque le Petit Prince devra partir, mais que cela ne sera pas grave puisque dès ce moment-là, quand il regardera le blé, cette couleur lui rappellera la couleur des cheveux ondulants et dorés du Petit Prince - le blé a maintenant une signification spéciale pour le renard.
Pour fortifier et approfondir une amitié, il faut aussi savoir attendre et parfois même souffrir et pleurer sur l'absence de l'ami - cela fait partie du chemin qui nous conduit vers le bonheur et les amitiés profondes.
La solitude dépassée, voilà cette amitié qui commence et qui fera grandir le Petit Prince car « le renard lui apprendra un secret, qui donnera un sens nouveau à sa vie en revalorisant son amour pour la rose ». (*24)
Le moment de se quitter venu, le Petit Prince, un peu timide et mélancolique, dit juste un « adieu » au renard.
Mais celui-ci lui confie maintenant son secret:
« Il est très simple: on ne voit bien qu'avec le cour. L'essentiel est invisible pour les yeux. » (*25)
C'est sans doute le passage le plus connu de cette ouvre d'Antoine de Saint-Exupéry.
Le lecteur arrive à ce moment-là au coeur de l'oeuvre. Le Petit Prince est un peu découragé par tout ce qu'il a vécu sur la Terre et sur les autres planètes. La rencontre avec le renard exerce sur lui une profonde impression et lui redonne le courage qu'il avait perdu.
Le renard n'en reste pas là - il lui explique pourquoi sa propre rose est unique dans l'univers:
« C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui la rend si importante. » (...) « Les hommes ont oublié cette vérité. Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens pour toujours responsable de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose. » (*26)
Le Petit Prince, qui avait tant douté ces derniers temps de son amour pour la rose, puisqu'il avait vu dans un jardin des dizaines de roses toutes semblables à la sienne, comprit alors pour quelle raison la sienne était vraiment unique. Cette découverte l'a rendu si heureux qu'il dut en pleurer.
C'est une phrase qui touche les lecteurs de façon particulière, à mon avis, puisqu'elle répond à un besoin de richesse immatérielle, puisque c'est une vérité qui n'est pas assez mise en valeur dans notre monde, basé sur les biens matériaux, visibles, que l\'on peut toucher. Saint-Exupéry réussit à présenter les valeurs des relations humaines sans écrire de banalités ou sans formuler aucun traité de morale.
Le Petit Prince entame le chemin du retour puisque le but de son voyage est atteint ; une sorte de mission est accomplie. Il n'a plus qu'à transmettre le secret au pilote, à l'adulte, afin qu'il puisse, lui aussi, découvrir cette vérité universelle toujours actuelle et tellement importante, mais jamais assez évidente puisque les hommes l'ont trop souvent oublié.
« Saint-Ex » a connu des moments très difficiles, des moments de peur, sans doute. Mais, toujours, il aurait risqué sa vie pour ses amis et ses camarades de vol.
Léon Werth, un ami très important de Saint-Exupéry, disait à propos de sa façon d'apprivoiser:
« Il laisse de longues durées de blessures au cour à ceux qui l'ont vu une seule fois sourire. » (*27)
Lui-même disait que l'« on est animé par un sourire. » (*28) « ...le sien parfois timide, pathétique, attendait la réponse de l'autre pour s'épanouir. » (*29)
Pour Saint-Exupéry, le pire fut la solitude. L'homme n'est pas fait pour être seul. Il a la chance d'être le plus souvent capable de chercher et de trouver des amis, des personnes dans lesquelles il puisse avoir confiance et sur lesquelles il puisse compter.
Antoine de Saint-Exupéry à la gare Saint-Lazare et arrivant de New-York, en août 1939.
« Il laisse de longues durées de blessures au cour à ceux qui l'ont vu une seule fois sourire. » (*27) (Il. 3)
Avec l'amitié, le Petit Prince commence à connaître une nouvelle dimension de la vie:
pour apprivoiser quelqu'un, on a besoin de patience afin de ne rien presser dans le processus de la familiarisation.
Il faut se tenir à distance - et là nous voyons l'importance du respect de l'autre ainsi que celle de lui laisser le temps de se préparer à la rencontre. Pendant ce temps-là, on peut s'observer silencieusement car, lorsque le personnage est encore inconnu, « le langage est source de malentendus », comme dit le renard. (*30)
L'image qui nous est donnée du renard dans Le Petit Prince est contraire à celle que nous sommes habitués à rencontrer dans les fables et dans les paraboles des siècles passés et où le renard est présenté comme avide, menteur, hypocrite et excessif. C'est ce qui est beau dans ce symbole du renard: Saint-Exupéry a changé l'image traditionnelle du renard, mais c'est toujours un animal qui transmet un message (qui transmis par un homme semblerait moralisant et n'aurait sûrement pas le même effet sur le lecteur).
« Le renard montre une grande sagesse. Il a une préférence pour les phrases simples et brèves - il a une vision claire du monde et des valeurs qui la soutiennent.
Saint-Exupéry a sans doute été influencé dans son choix par le souvenir qu'il avait gardé des « fénechs », des renards de sable, car ceux-là l'avaient distrait lors de ses heures de solitude et d'angoisse dans le Sahara »:
« J'imagine mon ami. » (le fénech) « trottant doucement à l'aube, et léchant la rosée sur les pierres. Ici un compagnon est venu le rejoindre et ils ont trotté côte à côte. J'assiste ainsi avec une joie bizarre à cette promenade matinale. J'aime ces signes de la vie. Et j'oublie un peu que j'ai soif. » (*31)
Pour parler de l'amitié entre le pilote et le Petit Prince, je voudrais commencer par citer William Woodsworth pour démontrer l'inégalité qui règne entre le Petit Prince et le pilote-adulte: « L'enfant est le père de l'homme. » (*32)
Cette fois-ci, c'est le Petit Prince qui est le savant, le pilote est celui qui doit tout apprendre et beaucoup réfléchir sur sa propre existence.
Les deux personnages se rencontrent dans un moment plutôt critique pour le pilote. La réparation du moteur est pour lui « une question de vie ou de mort ». (*33)
Il ne s'attendait pas à rencontrer une personne dans un endroit pareil. Le Petit Prince apparaît avec son attitude naturelle comme si de rien était. Contrairement au pilote, il n'est « ni égaré, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. » (*34)
Avant d'apparaître complètement, le pilote ne fait qu'entendre sa voix. Cela donne presque l'impression que l'enfant a surgi du néant, d'un coup de baguette magique.
Le renard apparaît de la même manière au Petit Prince. Peut-être que cela est une meilleure façon de se « voir » pour la première fois.
Lorsque l'enfant demande au pilote de lui dessiner un mouton, celui-ci ne voit pas en quoi cela serait un besoin tellement essentiel pour lui. Le lecteur se rend compte à quel point les deux personnes sont différentes l'une de l'autre. Le pilote symbolise l'adulte qui a raté ce qui est important dans la vie, mais c'est au cours de l'amitié qui naît entre eux deux que ce pilote-narrateur redeviend en quelque sorte enfant. La façon dont l'enfant s'adresse à l'homme inconnu est importante à évoquer- dans une même phrase il vouvoie et tutoie le pilote ce qui surprend celui-ci:
« S'il vous plaît, dessine-moi un mouton. » (*35)
Cela nous montre que le Petit Prince ne sait que penser de cet adulte, il doute de sa provenance et ne sait pas s'il doit le considérer proche de lui ou non- perdu dans un monde d'enfance ou dans l'image qu'il se fait du monde adulte.
Le Petit Prince n'est jamais content des dessins que le pilote lui fait. Sa fantaisie fleurit tellement que les dessins lui paraissent en même temps vivants et réels. L'adulte doute presque de l'existence charnelle de ce garçon qui possède tous les attributs d'un personnage de conte.
Mais peu à peu, les deux commencent à s'entendre. D'un côté, le Petit Prince persiste dans sa volonté de faire de cet adulte son ami et essaye de trouver un lien entre le monde adulte et celui des enfants, et de l'autre, le pilote se rend compte que cet enfant est vraiment extraordinaire et doté d'un charme véritablement envoûtant. Il y a déjà une certaine ressemblance pour ce qui est de leur vision des choses.
Ce qui prouve ce sentiment est que l'enfant reconnaît dès le premier instant que le dessin du pilote, souvent vu par les adultes comme un chapeau, est en fait la représentation d'un éléphant dans un boa. Cela les rapproche beaucoup l'un de l'autre. Le pilote est soulagé et heureux d'avoir trouvé une âme sour!
Dans les chapitres suivants (Chap.5 à 23), le pilote-narrateur disparaît en tant que personnage de l'histoire. Il apparaît de nouveau vers la fin, lorsque le Petit Prince a terminé de lui raconter son voyage interplanétaire. (Chap.24) C'est maintenant que l'enfant transmet à l'adulte tout ce qu'il a appris par le renard. Ce dernier est nerveux puisqu'il n'y a plus d'eau et que la soif (physique et sentimentale!) augmente. Il veut que l'enfant réalise finalement l'aspect tragique et sérieux de la situation.
Les deux vont donc à la recherche d'eau. Cette marche symbolise leur relation - les heures qui passent entre la nuit et le lever du jour représentent les étapes de leur amitié. Leur conversation se dirige vers un point fixe. Petit à petit l'enfant lui fait découvrir le secret, la Vérité du renard par des allusions telles que celle-ci:
« Les étoiles sont belles à cause d'une fleur que l'on ne voit pas. »(...) « Ce qui embellit le désert, c'est qu'il cache un puits quelque part. » pour enfin aboutir, avant de s'endormir, sans même être capable de terminer sa phrase:
« Le plus important est invisible. » (*36)
Peu de temps après, le pilote trouve enfin le puits au lever du jour, ce qui symbolise l'accomplissement d'un cheminement intérieur. Il porte l'enfant dans ses bras, les deux ne font plus qu'un, la distance entre les deux personnages s'est effacée, l'adulte a le désir de protéger cet être si faible et tellement précieux. Il retrouve le bonheur qui est annoncé dans le récit par un « mystérieux rayonnement du sable ».(*37) - le rayonnement de l'amitié qui rend au pilote la chaleur intérieure qui lui avait tant manqué et qui lui rappelle son enfance.
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